Vérité

Abbé Alexis Pelletier, Du modérantisme ou de la fausse modération (Pages 35-36)
« L’œil ne créer point la lumière, car elle existe en dehors et indépendamment de lui : il est uniquement fait pour la recevoir. L’intelligence humaine ne créer point non plus la vérité ; elle n’est que la faculté qui reçoit, qui appréhende, qui saisit, qui s’approprie le vrai, lorsqu’il lui est présenté. Comme la lumière existe indépendamment de l’œil, de même aussi la vérité existe indépendamment des intelligences créées.
Or, il y a des hommes, et le nombre en est trop grand par malheur, qui finissent par perdre de vue ces notions si simples et si claires, mais en même temps fondamentales. Ils s’imaginent que la vérité est le produit, le fruit propre de leur intelligence, et ils l’aiment à ce titre. Ainsi, pour eux, aimer la vérité, c’est s’aimer eux-mêmes. Ils aiment du même amour ce qu’ils croient être la vérité.
De là, de grands maux. Comme on ne peut longtemps croire que c’est son intelligence qui produit la vérité, sans croire que tout ce qui germe en elle est vérité, il arrive que les hommes dont je parle, évidemment faillibles comme tous les autres, ne peuvent presque jamais être redressés quand ils se trompent, et qu’ils prennent en haine les vérités qu’ils ont ignorées et qui contredisent leurs manières de voir.
Tout ce qui s’attaque à ces manières de voir leur semble s’attaquer à leur être même. Ils sont donc extrêmement importunés quand ils entendent émettre des doctrines contraires aux leurs ; souvent même ils s’abandonnent à une telle impatience qu’ils refusent de se donner la peine de s’arrêter à considérer un instant ce qu’on propose à leur examen et à leur méditation. Il suffit qu’ils n’aient point eu une idée, ou que cette idée les choque pour que de suite ils la rejettent avec mépris. Et comme un excellent moyen de faire qu’une chose ne nous importune point, c’est de les tenir dans une espèce de captivité qui l’empêche de se produire, ils n’ont rien tant à cœur que de mettre des entraves à la circulation des idées qui leur déplaisent. Par là, ils les anéantissent autant qu’ils le peuvent.
En conséquence, ils s’ingénient à mettre on œuvre tous les moyens qu’ils jugent les plus propres à arrêter la propagation de telles idées, et ils invoquent surtout ce principe très vrai, mais dont ils font une très fausse application, qu’il ne faut pas troubler la paix. Ils ont leur manière à eux d’entendre ce que signifie la paix. Ajoutons que se sentant profondément blessés dans leur orgueil par la prédication de vérités qu’ils voudraient avoir vues frapper tout d’abord à leur porte et avoir connues tout des premiers, ils se mettent dans l’esprit que c’est blesser gravement la charité que de les humilier en se montrant plus intelligents qu’eux. Ils vous abasourdissent donc en criant sans cesse au manque de charité ; mais, pour quiconque les connaît, ce reproche n’est au fond que le cri de l’orgueil froissé. »

Charles Maurras, Mes idées politiques (Page 33)
« La sincérité n’est pas la vérité. »

Matthieu Lavagna, Les travers de la zététique
« D’après Thomas Durand, « il est prudent de ne jamais prétendre posséder une vérité absolue sur quelque sujet que ce soit. »
Cette affirmation est indubitablement fausse. Tout d’abord, si quelqu’un disait qu’il n’y a pas de vérité absolue, ce serait une contradiction en soi, car cette affirmation se doit d’être une vérité absolue pour pouvoir exclure les vérités absolues. De plus, nous connaissons un bon nombre de vérités absolues : les théorèmes mathématiques, les lois de la logique (principe de non-contradiction, loi de contraposition, etc.). Nous avons aussi accès à certaines vérités absolues en métaphysique (par exemple, les propositions « j’existe » ou « il existe quelque chose »), ainsi qu’en matière morale (il est absolument vrai que torturer un bébé pour le plaisir est immoral, etc.). »

Robert Redeker, L’abolition de l’âme
« Le discrédit de la vérité prolifère de Nietzsche à Deleuze. Nietzsche porte à son point d’incandescence le relativisme des Sophistes, le renversant, paradoxalement, en un absolu : il se précipite du relativiste et éclectique « chacun possède sa vérité » des Sophistes, vers le dogmatique « la vérité n’existe pas ». La vérité, estime Nietzsche, n’est qu’une illusion nécessaire à la vie, le produit d’une évaluation, une simple valeur. Les vérités, prétend-il, sont des pièces de monnaie ayant perdu leur poinçon, qui avaient une valeur reposant sur la croyance, « qu’on ne considère plus désormais comme telles, mais seulement comme du métal ». Le pragmatisme vital de Nietzsche ne voit dans les vérités que des illusions utiles à la vie. L’ »instinct de vérité », cette puissante libido, dont Nietzsche pointe l’existence dans « Vérité et mensonge au sens extra-moral », se moque pas mal de son objet, la vérité ; généralement, il n’est qu’une succursale de l’instinct de survie, et, dans le meilleur des cas, qu’un auxiliaire de la volonté de puissance. Le point de vue de Gilles Deleuze, ce lecteur méticuleux de Nietzsche, selon lequel la philosophie doit chercher non la vérité mais l’intéressant, est l’aboutissement d’une histoire bi séculaire : celle du discrédit de la vérité. La supériorité de l’intéressant sur le vrai entre en accord avec la présentation, par Deleuze, de la philosophie comme une activité esthétique : création de concepts. Si Platon voulait tenir l’artiste à l’écart du philosophe, Deleuze les fusionne, les unit en un seul corps, suggérant sans le dire une sorte de substitution, le philosophe devenant avant tout un artiste. Mais quel type d’artiste ? Sculpteur ? Peintre ? Non ! Pour Deleuze, il revient « à la philosophie seule de créer des concepts ». Il précise : « La philosophie, plus rigoureusement, est la discipline qui consiste à créer des concepts ». Les concepts sont des œuvres d’art, à la semblance des tableaux ou des statues, ou des films de Kurosawa, cinéaste fort justement admiré par Deleuze. L’œuvre d’art est éloignée de la vérité, elle est mensonge, c’est pourquoi le philosophe doit la tenir à l’écart, estimait Platon, pour qui le monde de l’artisanat et de l’art, qui est le monde des images, distrait l’âme de la considération de l’essence. Mais, lorsque surgit Deleuze, la vérité n’est plus la préoccupation du philosophe. Elle n’est pas même celle du mathématicien dont l’occupation consiste à créer d’autres objets d’art : des fonctions. Le vocabulaire a son importance : non pas découvrir, ni inventer, ni fabriquer, mais créer. Un lexique d’esthéticien évalue la philosophie, et d’autres activités de l’esprit. Deleuze défend une conception esthétique de la philosophie. D’autant plus que, estime-t-il, « le concept comme création proprement philosophique est toujours une singularité ». Le concept possède la singularité d’une œuvre d’art, d’un tableau ou d’un film. Sans doute, et bien que Deleuze ne le mentionne pas, en possède-t-il également l’aura, propriété qui expliquerait le ravissement et le rapt de certains hommes par certains concepts, par exemple Capital, Inconscient, Désir, Idée, Ego, etc. Cette modification de la nature de la philosophie bouleverse sa structure, renverse sa hiérarchisation interne : « les notions d’importance, de nécessité, d’intérêt sont mille fois plus déterminantes que la notion de vérité ». Deleuze croit sauver la philosophie, en lui taillant un royaume spécifique, celui de la création conceptuelle, en traçant sa frontière, alors que de ce geste, il la tue !
Il n’échappera à personne que l’approche deleuzienne de la philosophie s’identifie à un jeu de masques. Répondons à Deleuze : la philosophie est bien autre chose que la création de concepts. Disons plus : tout autre chose ! Elle est une forge d’outils. Rapprocher le concept philosophique d’une œuvre d’art, comme il le tente, oblige à s’enferrer dans une rue borgne. L’œuvre d’art s’arrête à elle-même. Marquée du sceau de la gratuité, qui signe sa grandeur, elle ne sert à rien. L’esthétique kantienne établit que le jugement de goût est celui d’une finalité sans fin. Rien ne nous interdit de faire glisser cette notion du jugement vers l’œuvre elle-même. L’œuvre d’art vit d’une finalité sans fin : finalité des efforts de l’artiste, elle est à elle-même sa fin, ne connaît pas d’au-delà. L’artiste ne voulait pas aller plus loin que l’œuvre, qui, se détachant de lui une fois produite, se suffit dès lors à elle-même. La Joconde s’est émancipée de Vinci. Elle vit sa vie éternelle, Mona Lisa, loin des pinceaux de Léonard ! Deux arguments détruisent l’assimilation deleuzienne entre le philosophe et le créateur artiste. D’une part le concept est doué d’une finalité qui le transcende, à l’inverse de l’œuvre qui est toujours, comme nous l’avons dit, à elle-même sa propre fin. Le concept n’est jamais le but du concept. Jamais l’autotélie ne justifie son existence. Ce n’est qu’à la condition de masquer – en toute malhonnêteté intellectuelle – cet inachèvement du concept que Deleuze peut déployer son esthétisme philosophique. À l’inverse, une œuvre d’art n’est en aucun cas un outil. D’autre part, l’œuvre n’est pas objet de connaissance, sauf extérieurement et circonstanciellement, non essentiellement, sous les formes d’histoire de l’art ou de biographie, mais de jugement de goût. Au contraire, on ne juge pas de la sorte un concept ! Ou, pour être plus rigoureux : on ne le goûte pas. On goûte une œuvre, pas un concept. Le jugement de goût ne s’applique pas au concept. Les concepts ne sont pas la finalité de l’activité du philosophe. Un abîme sépare l’œuvre d’art du concept. Un concept est un outil, si bien que la philosophie au lieu d’être l’atelier artistique de la création de concepts qu’imagine Deleuze est une forge d’outils. Le philosophe n’est pas un artiste, c’est un forgeron.
Si Nietzsche a réduit la vérité à une croyance utile pour la vie, c’est-à-dire à une illusion, Deleuze la renvoie dans les coulisses, la dévaluant sur le mode du refoulement. Car c’est bien à ce singulier spectacle qu’assiste le lecteur de ce philosophe : au refoulement de la vérité par la philosophie (dont on se demande alors si elle n’a pas, dans les livres de Deleuze, été subrepticement remplacée par un substitut, qui usurperait son identité). Certes, Deleuze n’affirma pas la non-existence de la vérité, il n’écrit ni en vérinégateur, ni en sceptique, il préfère la rétrograder en posant qu’elle n’est pas déterminante. S’il ne dit pas qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est qu’illusion, ni, comme affirmerait le sceptique, qu’il ne l’a pas encore trouvée, il dit qu’elle n’est pas « déterminante » en philosophie (pas plus qu’en mathématiques). C’est que, en philosophie comme en mathématiques, la vérité doit être trouvée ; or, Deleuze penche pour la création plutôt pour la recherche, pour la singularité plutôt que pour l’objectivité. Avec Nietzsche, avec Althusser, que nous avons pris comme un échantillon du vaste courant marxiste, avec Deleuze, le monde intellectuel dans lequel évoluait depuis deux millénaires l’âme, implose. L’oxygène dont elle avait besoin pour respirer s’est raréfié. Ou plutôt : les philosophes se sont évertués à changer cet oxygène en une atmosphère toxique.
En ramenant la philosophie à une activité créatrice de type esthétique, en oubliant que le concept est un outil et non une fin, on la déleste de toutes ses ambitions. Quand le sage montre la lune, métaphore pour la vérité, qui résidait pour Aristote dans le supralunaire, Deleuze regarde son doigt, le concept. L’on ruine ainsi la raison d’être de la philosophie tout en produisant un discours chatoyant. L’approche deleuzienne est une approche typique de temps de décrépitude. De temps de renoncement. De temps où l’on en rabat sur toutes les exigences. Bref, de temps relativistes. Quand il n’y a plus rien, on ramène tout à de l’esthétique. Faussant ainsi la philosophie, en annulant la vérité, l’on prive l’âme de l’atmosphère dont elle a besoin pour être pensée. Pour penser. Pour être présente dans le monde avec nous, au milieu de nous. On l’éloigne du monde. La conception deleuzienne de la philosophie est un écocide spirituel. »

Ernest Hello, L’Homme (Page 214)
« Quiconque aime la vérité déteste l’erreur. Ceci est aussi près de la naïveté que du paradoxe. Mais cette détestation de l’erreur est la pierre de touche à laquelle se reconnaît l’amour de la vérité. Si vous n’aimez pas la vérité, vous pouvez jusqu’à un certain point dire que vous l’aimez et même le faire croire ; mais soyez sûr qu’en ce cas, vous manquerez d’horreur pour ce qui est faux, et à ce signe, on reconnaîtra que vous n’aimez pas la vérité. »

Mgr Lefebvre, Ils l’ont découronné
« Le subjectivisme, c’est introduire la liberté dans l’intelligence, alors qu’au contraire la noblesse de l’intelligence consiste à se soumettre à son objet, consiste en l’adéquation ou conformité du sujet pensant avec l’objet connu. L’intelligence fonctionne comme un appareil photographique, elle doit épouser exactement les touches intelligibles du réel. Sa perfection consiste en sa fidélité au réel. C’est pour cette raison que la vérité se définit comme l’adéquation de l’intelligence avec la chose. La vérité, c’est cette qualité de la pensée, d’être d’accord avec la chose, avec ce qui est. Ce n’est pas l’intelligence qui crée les choses, ce sont les choses qui s’imposent à l’intelligence, telles qu’elles sont. Par conséquent la vérité de ce qu’on affirme dépend de ce qui est, elle est quelque chose d’objectif ; et celui qui cherche le vrai doit renoncer à soi, renoncer à une construction de son esprit, renoncer à inventer la vérité. »

Saint Augustin, Les confessions (Chapitre X)
« Mais pourquoi « la vérité engendre-t-elle la haine » ?
Pourquoi les hommes regardent-ils comme un ennemi celui qui la prêche en votre nom, alors qu’on aime le bonheur qui n’est pas autre chose que la joie née de la vérité ? Pour cette simple raison que la vérité est tellement aimée que, quoi qu’ils aiment, ils veulent que ce soit la vérité ; et, ne voulant pas être trompés, ils ne veulent pas non plus être convaincus d’erreur. Ainsi ils détestent la vérité par amour de ce qu’ils prennent pour la vérité. Ils aiment la lumière quand elle luit, ils la haïssent quand elle les confond ; et, comme ils n’acceptent pas d’être trompés, tout en voulant tromper eux-mêmes, ils l’aiment quand elle s’annonce, ils la détestent quand elle les dénonce. Et voici leur châtiment : ils ne veulent pas être découverts par elle, elle ne les en découvre pas moins et ne se découvre pas à eux. C’est ainsi, ainsi, oui, ainsi qu’est fait le cœur de l’homme !
Aveugle et lâche, déshonnête et laid, il veut demeurer caché, mais il ne consent pas que rien lui demeure caché. Il en est puni : il ne se dérobe pas à la vérité, tandis que la vérité se dérobe à lui. Cependant, si misérable qu’il soit, il préfère goûter la joie dans la vérité que dans l’erreur. Il sera donc heureux, lorsque, libre de toute inquiétude, il jouira de l’unique Vérité, principe de tout ce qui est vrai. »

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Jean Daujat – Y a-t-il une vérité ? (2MO)

Bibliographie

– Jacques Balmès, Art d’arriver au vrai (Lien)

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