Apocryphe

Monseigneur Gaume, Le bon larron
« À beaucoup près, tout n’est pas écrit dans le Nouveau Testament. Saint Jean lui-même dit que le livre divin contient à peine la minime partie des faits relatifs à Notre-Seigneur (XXI, 25). Il est même des points essentiels, dont on n’y trouve pas le moindre vestige. Tels sont, entre autres, la substitution du dimanche au sabbat et la validité du baptême par infusion. Ici, comme ailleurs, la Tradition supplée au silence de l’Évangile. De bonne heure, cette tradition se fixa dans des monuments écrits. Saint Luc nous apprend que, dès les premiers jours du christianisme, il parut un grand nombre d’ouvrages sur la vie de Notre-Seigneur (I, 1). On le comprend sans peine. Au rapport d’Eusèbe, des foules innombrables, attirées par le bruit des miracles de l’Homme-Dieu, accouraient en Palestine, des extrémités les plus reculées de la terre, pour le voir et lui demander des faveurs.
Or, l’homme est ainsi fait que toujours et partout, même dans les siècles d’incrédulité et de matérialisme, il se montre avide du merveilleux. Ces pèlerins, Juifs ou étrangers, qui avaient eu le bonheur de voir Jésus de Nazareth, ou qui avaient conversé avec ceux qui L’avaient vu, publièrent à l’envi les moindres détails sur Sa vie et sur Ses miracles. Telle fut l’origine, moralement certaine, des nombreux écrits auxquels l’évangéliste fait allusion.
Quels étaient ces premiers ouvrages, dont il faut déplorer la perte ? Nul ne le sait. Du moins, on peut affirmer qu’ils servirent de base à un grand nombre de recueils de traditions évangéliques, répandus plus tard en Orient et en Occident. Les uns furent rédigés avec plus de piété que de critique. D’autres, composés ou falsifiés par les hérétiques, renfermaient le venin de leurs erreurs. Aucun n’était certainement des auteurs dont il portait le nom. Dans son infaillible sagesse, l’Église les rejeta tous du canon des saintes Écritures.
Mais, en les déclarant apocryphes, elle n’eut pas l’intention de les dénoncer comme faux et mensongers de tous point. À l’ivraie de l’erreur s’y trouve mêlé le bon grain de la vérité. La vérité se reconnaît sans peine, lorsque le récit des apocryphes est conforme à celui des auteurs canoniques, ou à l’enseignement traditionnel de l’Église : le cas est assez fréquent.
L’Église elle-même s’est servie contre les iconoclastes de la lettre d’Abgar, bien que rangée parmi les apocryphes par le Pape saint Gélase. Au VIIIè siècle, le Pape saint Grégoire II, qui connaissait apparemment le décret de son prédécesseur, ne craint pas d’écrire à l’empereur iconoclaste, Léon l’Isaurien : « Pendant que Notre-Seigneur parcourait les environs de Jérusalem, Abgar, roi d’Édesse, ayant entendu parler de Ses miracles, Lui écrivit une lettre. Notre-Seigneur daigna lui répondre de Sa propre main et lui envoyer Son adorable portrait. Allez vous-même, et envoyez à cette sainte image qui n’a pas été faite de main d’homme. Là, s’assemblent en foule pour prier les peuples d’Orient ».
Quelques années plus tard un autre Souverain Pontife, Adrien Ier, rend compte à Charlemagne de ce qui s’est passé au concile de Rome, tenu sous Étienne IV, et lui dit : « Notre prédécesseur, de sainte mémoire, le seigneur Étienne, présidant ce concile, rapporte un grand nombre de témoignages dignes de foi qu’il confirme lui-même ; puis il donne cet enseignement : « Mais il ne faut pas omettre ce que nous avons souvent appris par la relation des fidèles qui viennent d’Orient. Il est vrai, l’Évangile ne parle pas de ce qu’ils rapportent, mais cela n’est nullement incroyable, l’Évangéliste lui-même disant que Notre-Seigneur a fait beaucoup de choses qui ne sont pas écrites dans l’Évangile. Ils affirment donc que le Rédempteur du genre humain, vers le temps de Sa Passion, répondit une lettre au roi d’Édesse qui désirait le voir, et qui lui offrait un asile contre les persécutions des Juifs ». Vient ensuite la lettre de Notre-Seigneur.
Remarquons que saint Grégoire et Adrien écrivaient des lettres officielles à des empereurs, dont l’un était l’ennemi juré des saintes images. Si les lettres de Notre-Seigneur et d’Abgar, bien que rejetées du canon des Écritures, n’avaient pas eu une autorité fort respectable, comment les souverains Pontifes auraient-ils osé les produire avec assurance, en faveur du culte traditionnel des saintes images ?
Au reste, les protestants se montrent parfois moins dédaigneux que certains catholiques modernes, à l’endroit des apocryphes. À l’occasion des lettres d’Abgar, qui nous ont été conservées par Eusèbe, le docte Pearson manifeste une confiance à nos traditions primitives qui fait autant d’honneur à son impartialité qu’à son érudition. Le savant et sage annaliste de l’Église, Baronius, ne fait pas difficulté de s’appuyer sur les apocryphes, pour établir, contre saint Jérôme, que le Zacharie, mis à mort par les Juifs, entre le temple et l’autel, est Zacharie père de saint Jean-Baptiste. La règle à suivre, en citant l’autorité des apocryphes, est celle que nous indique le grand cardinal : l’admettre avec prudence, caute admittenta ; ne pas y tenir mordicus, mordicus defendi non debent. […]
Les circonstances particulières contenues dans les apocryphes, ajoute Brunet, loin d’être restées stériles, ont eu, pendant une longue suite de siècles, l’action la plus puissante et la plus féconde sur le développement de la poésie et des arts. L’épopée, le drame, la peinture, la sculpture du moyen âge, n’ont pas fait faute d’y puiser à pleines mains. Laisser de côté l’étude des évangiles apocryphes, c’est renoncer à découvrir les origines de l’art chrétien. Ils ont été la source où, dès l’extinction du paganisme, les artistes ont puisé toute une vaste symbolique. Diverses circonstances, rapportées par ces légendes, et consacrées par le pinceau des grands maîtres de l’école italienne, ont donné lieu à des attributs, à des types que reproduisent chaque jours les arts du dessin. »

Origène, Commentaire sur l’Évangile selon Matthieu
« Nous n’ignorons pas, dit-il, que beaucoup de ces écritures secrètes ont été composées par des impies, de ceux qui font le plus haut sonner leur iniquité, et que les hérétiques font grand usage de ces fictions : tels les disciples de Basilide. En règle générale, nous ne devons pas rejeter en bloc, ce dont nous pouvons tirer quelque utilité pour l’éclaircissement des saintes Écritures. C’est la marque d’un esprit sage de comprendre et d’appliquer le précepte divin : « Éprouvez tout, retenez ce qui est bon. » »

Piero Ottaviano, Les Fondements du Christianisme
« Certains prétendent que l’Église cache un (ou plusieurs) secrets que les évangiles apocryphes révèleraient. Elle aurait donc interdit les apocryphes et retirée des canoniques ce qui la dérangeait. Or cet argument ne tient pas après une courte analyse pour deux raisons :
– Si c’était le cas, il n’y aurait qu’un seul évangile, pas quatre. Certains ont proposé de faire cela (comme Tatien, au IIème siècle), mais l’Église a refusé. Elle voulait conserver la personnalité de chaque évangéliste et l’identité propre de chaque évangile, car chacun est adressé à un public particulier : Matthieu s’adressait aux Juifs, Luc à des Grecs…
– Si c’était le cas, l’Église se serait arrangée pour qu’il n’y ait dedans aucune différence, or il y en a (même si elles ne concernent pas les fondamentaux). Elle s’est par ailleurs opposée à certains (comme Marcion, au IIème siècle), qui retiraient ce qui les dérangeait des livres.
Tout montre au contraire que les Évangiles n’ont pas été arrangés et « bidouillés » par l’Église, mais laissés tel quel.
Alors, comment l’Église a-t-elle fait pour choisir quels évangiles étaient « canoniques » et lesquels étaient « apocryphes » ?
Tout d’abord, il faut préciser que par « Église », on n’entend pas seulement le pape et ses évêques, mais tous les Chrétiens. Ce sont bien sûr le pape et ses évêques qui ont tranché la question en 364 au Concile de Laodicée, les faux évangiles devenant de plus en plus nombreux, mais ils ne se sont pas contentés de tenir compte de leurs opinions personnelles. Ils ont suivi celle de la majorité des Chrétiens. L’Église s’est en fait basée sur trois critères, qui devaient être tous les trois respectés pour qu’un livre soit reconnu comme « canonique » :
1) Ecclésialité
Furent choisis comme « officiels » les livres qui étaient accueillis et lus dans la liturgie de toutes (ou presque) les communautés qui les connaissaient. Ce furent les communautés qui sélectionnèrent le Nouveau Testament, non pas à travers des déclarations officielles mais à travers la « sensibilité » des Chrétiens : ils retrouvaient fixée la loi qu’ils avaient reçu des apôtres. Ainsi, si une communauté connaissait un évangile, mais ne l’avait pas accepté car elle considérait son contenu douteux, alors celui-ci était considéré comme « apocryphe ». La question se pose alors de savoir si les apôtres ont transmis ou caché des choses fausses lors de leur enseignement. Cela semble très peu probable, car cela voudrait dire qu’ils mentaient. Or ils ont tous été jusqu’à mourir en martyr plutôt que de renier ce qu’ils enseignaient. C’est donc qu’ils croyaient vraiment en ce qu’ils disaient.
2) Apostolicité
Furent choisis les livres que l’on savait produits par un Apôtre, directement ou indirectement. Ainsi, l’évangile selon Matthieu a été écrit par Matthieu, apôtre. L’évangile selon Marc a été écrit par Marc, disciple et secrétaire de Pierre. L’évangile selon Luc a été écrit par Luc, médecin et secrétaire de Paul. L’évangile selon Jean a été écrit par Jean, apôtre.
Les évangiles apocryphes sont apparus bien plus tard que les canoniques, ils ne pouvaient donc avoir comme source un apôtre, ceux-ci étant déjà tous morts : ces évangiles font leurs apparition au deuxième siècle pour la plupart, voire plus tard, et les apôtres sont morts au premier siècle.
3) Traditionalité
Furent choisis les livres qui étaient en accord avec la tradition orale préexistante. Ceux qui présentaient Jésus de manière différente de ce que les apôtres et les témoins oculaires de Jésus leur avaient raconté ont été refusés. Par exemple, l’évangile de Thomas commence par : « Voici les paroles secrètes que Jésus le Vivant a dites et que Didyme Jude Thomas a écrites. Et il a dit : Celui qui trouvera l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas la mort. Jésus a dit : Que celui qui cherche ne cesse pas de chercher, jusqu’à ce qu’il trouve. Et quand il aura trouvé, il sera troublé ; quand il sera troublé, il sera émerveillé, et il règnera sur le Tout. » On voit bien ici la tendance gnostique qui s’en dégage, en total désaccord avec le reste de la tradition : il y aurait une connaissance « cachée » réservée à une élite. C’est tout simplement anti-évangélique. »

Saint Jérôme, Lettre LVII
« Que d’abord elle apprenne le Psautier, qu’elle se récrée par ces cantiques. Dans les Proverbes de Salomon, qu’elle apprenne à bien vivre ; dans l’Ecclésiaste, à fouler aux pieds les choses du monde ; dans Job, qu’elle puise des exemples de vertu et de patience. Qu’elle passe ensuite aux Évangiles, et qu’ils ne sortent pas de ses mains. Qu’elle étudie de toute la volonté de son cœur les Actes des Apôtres et leurs Épitres, et puis, quand elle aura enrichi de ces trésors le cellier de son âme, qu’elle confie à sa mémoire les Prophètes, l’Heptateuque, les livres des Rois et des Paralipomènes, ceux d’Ezra et d’Esther. À la fin, qu’elle étudie le Cantique des Cantiques ; elle pourra alors le lire sans danger, au lieu que, si elle eût commencé par là, elle eût pu, ne pénétrant point le mystère des noces spirituelles caché sous des termes charnels et profanes, être blessée de ce langage. Qu’elle se garde bien de tout ce qui est apocryphe. Si, par hasard, elle veut lire ces ouvrages, non point pour s’y instruire des dogmes de la foi, mais par respect pour les prodiges qui y sont rapportés, qu’elle sache qu’ils ne sont pas des auteurs dont ils portent les noms ; que l’on y trouve beaucoup d’endroits vicieux et corrompus, et qu’il est besoin d’un grand discernement pour chercher l’or dans la boue. »

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