Jeanne d’Arc

R.P. Stéphen Coubé, La double mission de Jeanne d’Arc
« Jeanne d’Arc était appelée à préciser et à mettre dans une plus vive lumière ce rôle de notre pays. Pour elle, Jésus-Christ est à ce point le roi de France que Charles VII n’en est que le lieutenant. Pour elle la France n’a qu’un but, aimer et faire aimer Jésus-Christ, et être heureuse et grande par cet amour. C’est pour nous faire comprendre et accepter cette mission, c’est pour nous rendre capables de la remplir, que Jeanne nous est envoyée. Si elle doit nous délivrer de l’Anglais, c’est que, pour devenir le ministre des grandes œuvres du Christ le peuple français doit être autonome et indépendant. Si elle doit faire rentrer toutes les provinces sous le pouvoir de Charles c’est pour refaire l’unité du royaume, sous une monarchie puissante, et parce qu’un petit roi de Bourges ne pourrait être un sérieux lieutenant et un bon sergent de Jésus-Christ, selon saint Louis. L’indépendance du pays, l’expulsion de l’étranger, le sacre du roi ne sont que des moyens ; le but, c’est de faire de la France le soldat alerte et dispos de Notre-Seigneur. »

R.P. Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, Jeanne d’Arc sur les autels et la régénération de la France (Livre I)
« Il n’y a qu’une Jeanne d’Arc. Sans modèle dans les âges qui l’ont précédée, elle est restée sans copie dans les âges qui l’ont suivie. Elle est nôtre. Dieu la fit pour ressusciter notre nationalité diplomatiquement éteinte, moralement désespérée, ensevelie après dix siècles d’histoire. C’était la fin immédiate ; il y en avait bien d’autres encore. Avant tout, Jeanne d’Arc a proclamé les caractères surnaturels de la constitution politique de la France, les a mis en relief, rajeunis : elle confirmait ainsi ce qu’il y a de surnaturel dans notre vieille histoire et surtout dans nos origines. Elle ne relevait la France que pour la remettre sur le chemin de ses destinées surnaturelles, et sanctionner de nouveau la mission donnée par Jésus-Christ à notre pays. Jeanne présentait dans sa personne le type vivant des qualités surnaturelles que Jésus-Christ avait donné au départ à notre race, et qui forment le fond du vrai caractère national. À tous ces titres la Pucelle personnifie magnifiquement les prédilections de Jésus-Christ pour la France. Rappelons d’abord la substance du miracle, les monuments à part qui lui donnent une certitude irréfragable, et disons à qui le rapporta toujours celle qui en fut l’instrument. »

Mgr Alfred Baudrillart, Panégyrique (16 Mai 1915)
« Ô Jeanne, qui donc étiez-vous pour assumer cette œuvre de géant et pour la mener au port ?
Vous étiez une bonne Française, fille de nos campagnes, vous étiez une bonne chrétienne, fille de l’Église catholique ; de la Française et de la chrétienne, vous possédiez les meilleures qualités ; vous étiez la fleur de l’esprit français et de l’esprit chrétien.
Douée d’un impeccable bon sens, d’une naïveté mêlée de finesse, d’une candeur qui n’excluait pas la pénétration, d’une vivacité qui laissait place à la réflexion ; très simple, très courtoise et très noble ; animée d’une foi ardente, d’une espérance invincible, d’une exquise charité ; et toutes ces qualités, et toutes ces vertus, vous les mettiez sous la garde d’une chasteté immaculée.
Vous réalisiez, mieux que nul homme ne le fit jamais, l’idéal du chevalier français, par votre bravoure, par votre humanité, par le respect que vous portiez au Roi, par vos égards pour les grands, par votre affection pour les humbles : « C’est pour eux que je suis née », aimiez-vous à dire.
Votre courage, c’était le courage chrétien, ce n’était pas le courage antique et païen ; vous ne saviez pas prononcer le terrible Væ victis ; pour ceux que vous aviez vaincus, vous étiez pleine de compassion. Le farouche Gladsdale avait juré de massacrer tous les habitants d’Orléans ; il vous avait cruellement outragée ; vous le voyez près de périr ; vous le suppliez de se rendre au Roi du ciel et d’avoir pitié de son âme . Ce prisonnier anglais est mortellement frappé par un soldat ; vous le relevez en pleurant, vous le soignez comme une tendre sœur et vous le préparez à paraître devant Dieu.
Votre guerre, c’était la guerre chrétienne, la guerre telle qu’elle devrait toujours se faire entre peuples chrétiens, celle qui suppose chez ceux qui se combattent même foi et mêmes principes et qui permet par conséquent de faire appel à la conscience de l’adversaire.
Quand vous vous adressiez aux Anglais, c’était au nom de Dieu, de Jésus et de Marie ; vous les invitiez à se réconcilier avec les Français et à poursuivre, désormais d’accord avec eux, la grande œuvre du peuple chrétien, la croisade.
Jeanne, telles étaient les qualités que Dieu vous avait départies ; vous étiez tout ce que je viens de dire, certes c’était beau ; et cependant, j’ose l’affirmer, si vous n’aviez été que cela, vous n’auriez rien pu faire et vous n’auriez rien fait. Encore un coup, qu’étiez-vous donc ?
Vous étiez l’Envoyée de Dieu ; votre vocation et votre mission étaient surnaturelles.[…]
Comme les révélations et les visions de sainte Catherine de Sienne et de sainte Brigitte de Suède contribuèrent à ramener le Pape dans la capitale du monde chrétien, de même les vôtres menèrent le roi Charles à Reims, sauvèrent la France et servirent l’Église.
Vous étiez l’instrument, l’envoyée de Dieu ; du même coup, je comprends la hardiesse de votre entreprise et le succès qui l’a couronné, et, comme nulle autre histoire ne rapporte un tel miracle, je suis forcé de convenir que Dieu a donné à la France la preuve irrécusable d’un amour de prédilection, et je sens naître en moi une grande espérance. »

Abbé Albert Le Nordez, Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc
« « Jeanne, lui dit à Poitiers Guillaume Emeri, vous demandez des gens d’armes et dites que c’est le plaisir de Dieu que les anglais s’en aillent. Si cela est, il ne faut pas de gens d’armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire et les faire aller. – En nom Dieu, reprit Jeanne, les gens d’armes batailleront, et Dieu leur donnera la victoire. »
Non contente d’exposer le principe de l’intervention divine dans notre vie, Jeanne en explique encore, à sa façon, l’économie. Son exposé n’est pas long, mais il est aussi clair que simple.
On lui allègue que les soldats sont inutiles puisque Dieu a promis la victoire. C’est le langage de tant d’hommes qui, à leur insu, peu soucieux de l’exercice véritable de leur liberté aussi bien que du mérite que nous acquérons en en faisant bon usage, accepteraient volontiers que Dieu fit tout en nous sans nous. « À quoi bon l’effort de la vertu pour moi, disent-ils, si Dieu m’accorde les grâces qui me sont nécessaires ? Dieu peut me sauver. S’il m’aime il doit le vouloir. S’il le veut, qu’a-t-il pour cela besoin de moi ? »
Et quel mérite aurez-vous à être sauvé si vous l’êtes sans vous ? En quoi vos efforts méritent-ils le nom d’efforts, en quoi votre vertu est-elle vertu, si vous êtes vertueux sans vous ? Insensé, quel prix aurait à vos yeux votre vie si elle était seulement l’œuvre de Dieu sans votre collaboration ? Combien vous vous connaissez mal ! Ignorez-vous que l’homme n’aime que ce qu’il fait, n’apprécie que ce qui lui coûte, et se recherche lui-même en tout ce qui le passionne ?
Laissez l’homme « travailler », et Dieu « l’aider ». Que les soldats bataillent, Dieu leur donnera le triomphe. Ne demandez ni aux premiers de combattre sans Dieu, car ils n’y suffiraient pas, ni à Dieu de les faire vaincre sans eux, car leurs lauriers n’auraient nul prix. Écoutez Jeanne et dites avec elle : « Les gens d’armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire. » »

Abbé A. Mouchard, Panégyrique (8 mai 1890)
« Mais non, Messieurs, n’admirez plus en elle ses qualités guerrières ; ses vertus chrétiennes les surpassent au point de les faire oublier. Qu’elle se soit jetée intrépide dans le feu des batailles, des femmes l’ont fait comme elle, et, après tout, elle était Française. Qu’elle ait mis en fuite les guerriers les plus fameux de son temps, vous savez bien que ce n’est pas à une école humaine qu’elle a appris l’art de les vaincre. Ne la comparez donc plus à nos héros, dont elle est la sœur, mais à nos saints, dont elle est l’égale.
Sa terrible épée n’a pas une tache de sang. Blessée trois fois, Jeanne n’a blessé personne. Elle aime ce glaive qui a brisé la puissance des Anglais : elle aime quarante fois mieux son étendard, parce qu’il porte dans ses plis le meilleur gage de la victoire, le nom de Jésus-Christ. Ardente à la mêlée, elle ignore les colères du soldat ; elle calme l’emportement des siens, interdit sévèrement le pillage, prend les prisonniers sous sa garde et enseigne à ses rudes compagnons le respect des vaincus, alors que les coutumes de la guerre interdisaient la pitié. Elle pleure sur tous les morts, sous quelque drapeau qu’ils soient tombés ; si elle apprend qu’ils ont paru devant Dieu sans s’être confessés, elle est inconsolable. Elle s’arrête même auprès d’un ennemi mourant pour lui parler du Ciel et ce capitaine, que Condé tout à l’heure eût applaudi, n’est plus qu’une sœur de charité que Vincent de Paul reconnaîtrait pour sa fille.
Apôtre de la chasteté et du patriotisme, elle inspire la pureté comme elle allume le courage, car elle n’a au cœur que deux flammes qui se confondent, l’amour de la France et l’amour de Dieu. Ne craignez pas que sa piété se soit évanouie dans la guerre ; toujours docile à ses voix du ciel, la petite chrétienne de Domremy franchit chaque jour un degré de plus dans la vie parfaite, et ses douces vertus ont revêtu dans les combats une beauté plus virile. Les fatigues des armes n’épuisent pas l’ardeur de sa pénitence ; elle jeûne plusieurs fois la semaine et la frugalité de ses repas désespère ses hôtes. Elle se confesse entre deux marches  parfois même entre deux assauts. Où la surprenons-nous au matin de ses batailles ? A la table sainte ; et le soir ? Dans une église, prosternée comme autrefois au pied d’un crucifix. Souvent elle abrège son sommeil pour prier plus longtemps, car « elle ne s’attend qu’à Dieu ». L’ivresse du triomphe l’a-t-elle troublée un instant ? Les foules s’agenouillent quand elle passe, elle traverse, humble et sereine, les ovations populaires ; ses compagnons portent aux nues ses exploits, elle déclare « que son fait n’est qu’un ministère » ; le roi l’anoblit, elle ne veut pour récompense « qu’une place au paradis » ; la France l’acclame et l’Europe retentit déjà du bruit de son nom, elle n’aspire qu’à retourner à son village pour y vivre et y mourir ignorée. »

Cardinal Pie, Éloge de Jeanne d’Arc (8 mai 1844)
« Ô Dieu ! Dont les voies sont belles, et les sentiers pacifiques (Prov., III, 17), Vous qui marchez par un chemin virginal (St Augustin, t. VI, L. De sancta Virginitate, 29), soyez béni d’être venu à notre aide par des mains si pures et si dignes de Vous ! Soyez béni d’avoir fait Jeanne si belle, si sainte, si immaculée ! Je cherche en vain ce qui pourrait manquer à mon héroïne ; tous les dons divers s’accumulent sur sa tète ; pas une pierrerie à joindre à sa couronne. Par l’esprit et par le cœur, je ne connais rien de plus chrétien et de plus français que Jeanne d’Arc, rien de plus mystique et de plus naïf ; en elle la nature et la grâce se sont embrassées comme sœurs ; l’inspiration divine a laissé toute sa part au génie national, tout son libre développement au caractère français ; c’est une extatique chevaleresque, une contemplative guerrière ; elle est du ciel et de la terre ; c’est, pardonnez cette anticipation, c’est une martyre qui pleure ; c’est une sainte qui n’a pas d’autels ; que l’on vénère, que l’on invoque presque, et qu’il est permis de plaindre ; que le prêtre loue dans le temple, que les citoyens exaltent dans les rues de la cité ; modèle à offrir aux conditions les plus diverses, à la fille des pâtres et à la fille des rois (elle a prouvé, elle aussi, qu’elle savait comprendre la sainte et noble figure de Jeanne), à la femme du siècle et à la vierge du cloître, aux prêtres et aux guerriers, aux heureux du monde et à ceux qui souffrent, aux grands et aux petits ; type le plus complet et le plus large au double point de vue de la religion et de la patrie, figure historique qui n’a son semblable nulle part ; Jeanne d’Arc, c’est une douce et chaste apparition du ciel au milieu des agitations tumultueuses de la terre, une île riante de verdure dans l’aride désert de l’histoire humaine, un parfum de l’Éden clans notre triste exil ; et, pour parler le langage de saint Augustin, c’est Dieu venant à nous, cette fois encore, par un sentier virginal.
Car, Messieurs, Jeanne d’Arc est de Dieu ; elle est l’envoyée de Dieu ; elle n’a cessé de le dire. Et quel Français se sentirait le triste courage de nier le témoignage des paroles de Jeanne, si magnifiquement confirmé par le témoignage de sa vie et de sa mort ? Et cela, pour ne pas vouloir reconnaître cette vérité si consolante, savoir : que Dieu aime la France et qu’au besoin Il la sauve par Ses miracles. « Prince de Bourgogne, écrivait Jeanne à l’ennemi de son roi, je vous fais assçavoir, de par le Roy du ciel, pour votre bien et votre honneur, que vous ne gaignerez point bataille à l’encontre des loyaulx Françoys, et que tous ceulx qui guerroyent audit saint royaulme de France, guerroyent contre le Roy Jhésus, roy du ciel et de tout le monde ; s’il vous plaist aguerroyer, allez sur le Sarrazin ». Vous l’entendez, Messieurs, Le saint royaume de France, le royaume des loyaux Français, c’est le royaume de Dieu même ; les ennemis de la France, ce sont les ennemis de Jésus. Oui, Dieu aime la France, parce que Dieu aime Son Église, rapporte tout à Son Église, à cette Église qui traverse les siècles, sauvant les âmes et recrutant les légions de l’éternité ; Dieu, dis-je, aime la France, parce qu’il aime Son Église, et que la France, dans tous les temps, a beaucoup fait pour l’Église de Dieu. Et nous, Messieurs, si nous aimons notre pays, si nous aimons la France, et certes nous l’aimons tous, aimons notre Dieu, aimons notre foi, aimons l’Église notre mère, la nourrice de nos pères et la nôtre. Le Français, on vous le dira du couchant à l’aurore, son nom est Chrétien, son surnom Catholique.
C’est à ce titre que la France est grande parmi les nations ; c’est à ce prix que Dieu la protège, et qu’il la maintient heureuse et libre. Et si vous voulez savoir en un seul mot toute la philosophie de son histoire, la voici : « Et il ne s’est trouvé personne qui insultât ce peuple, sinon quand il s’est éloigné du Seigneur son Dieu » (Judith, V, 17). Mais la mission réparatrice de Jeanne n’est pas achevée ; elle a commencé son œuvre dans la gloire ; elle la poursuivra dans la douleur. L’épouse de Jésus doit s’abreuver au calice de son époux. Jeanne va passer du Thabor au Calvaire ; et sa mort sera plus féconde que sa vie. Recueillons-nous, Messieurs. La sagesse antique avait entrevu quel noble spectacle c’est que celui d’un juste aux prises avec l’adversité. Mais la doctrine chrétienne seule peut nous faire comprendre ce mystère d’expiation, qui tire toute sa vertu de la croix. »

R.P. Stéphen Coubé, La double mission de Jeanne d’Arc
« Au cours des grandes manœuvres du mois de septembre 1895, une division d’infanterie traversait le village de Domremy, lorsqu’un officier à cheval, quittant la tête de ses hommes, vint se placer, droit sur l’étrier, devant la maison où naquit la Pucelle, et, la montrant d’un beau geste de son épée, il cria d’une voix vibrante : « La tête à droite ! Voici la maison de Jeanne d’Arc. » A ce nom, un grand frisson parcourut les rangs, un éclair brilla dans tous les yeux, toutes les tailles se redressèrent, tous les cœurs battirent la charge, et les bataillons défilèrent, superbes, la tête à droite.
Il y a plusieurs années, Messieurs, que l’Église vous fait le même geste et vous jette la même parole : « La tête vers Jeanne d’Arc ! La tête vers son âme immortelle ! » À cette voix, vous avez levé les yeux, et, sous les traits d’une jeune fille, nimbée de toutes les vertus et de toutes les beautés, vous avez reconnu l’idéal sauveur que vous appeliez depuis longtemps dans vos rêves désolés : et l’on a même vu des hommes étrangers à la foi de Jeanne saluer en elle la plus suave et la plus fière incarnation de l’âme de la France et s’unir à nous pour acclamer son nom.
Oh ! ce nom, depuis l’Alpe neigeuse jusqu’à la lande bretonne, tous les échos du pays amoureusement se le renvoient ; chaque année, il nous revient embaumé avec le mois des fleurs ; il éclate comme un coup de clairon au fond de nos campagnes ; il monte dans nos villes en fusées de joie populaire, et le temps n’est peut-être pas éloigné où les canons nous prêteront officiellement leur tonnerre pour le porter jusqu’aux nues.
D’où viennent donc la popularité et la sympathie qui s’attachent à ce nom ? Vos cœurs, comme vos regards, me répondent que, s’il vous a ainsi conquis, c’est parce qu’il remue au plus profond de vos entrailles la fibre patriotique, parce qu’il évoque devant vous dans un merveilleux décor tout ce que vous aimez, tout ce qui vous rend fiers.
Gracieuse et terrible, Jeanne traverse un siècle de tempêtes, poussée par le souffle de Dieu, et accomplissant l’œuvre de justice. L’épouvante la précède, un vol d’anges plane sur sa tête et la protège, la victoire chevauche à ses côtés, la paix refleurit et la terre chante sur la trace de ses pieds vainqueurs. A suivre sa course victorieuse, on se croirait emporté dans un rêve d’or ; et cependant c’est bien l’histoire : oui, c’est l’histoire, plus belle que la légende, où la jeune guerrière s’enlève superbement, plus prestigieuse et plus indomptée que les Valkyries Scandinaves, foulant les nuages dans le vertige de leurs courses aériennes. Oui, c’est l’histoire, car c’est toute la gloire, toute la poésie militaire de la vieille France, c’est tout un défilé d’héroïques souvenirs qui passent avec elle, l’épée au clair, la bannière au vent. Mais par-dessus tout, plus haut que la France, plus haut que Jeanne, plus haut que les anges, dans un éclair, c’est Dieu lui-même que vous voyez apparaître, lançant couronnes et victoires sur notre pays, comme il ne l’a jamais fait pour aucun peuple : non fecit taliter omni nationi.
Toutefois, Messieurs, ni le charme de ces vieux souvenirs, ni l’orgueil de soulever cette poussière de gloire, ni la reconnaissance pour d’antiques bienfaits ne suffiraient à rendre compte de l’explosion d’enthousiasme national qui nous soulève depuis quelques années et que n’ont pas connu nos pères. Mettez la main sur vos cœurs et dites-moi s’il n’est pas vrai que, en face de Jeanne d’Arc, vous songez plus encore à l’avenir qu’au passé ? N’est-il pas vrai que dans son nom vous avez cru entendre, non pas seulement les fanfares lointaines de la gloire, mais encore le vol très doux de l’espérance ?
Au nom de Jeanne, les femmes de France se sont levées et elles montrent à leur sublime sœur les chers innocents aux têtes blondes qui dorment aujourd’hui dans leurs berceaux, et dont les petits poings fermés serreront et manieront un jour une épée au service de la patrie. Au nom de Jeanne, la jeunesse a bondi, touchée au cœur par une étincelle d’héroïsme et de foi jaillie du cœur de la Pucelle.
Au nom de Jeanne, l’épée a frémi au fourreau ; chefs et soldats regardent d’un œil attendri la virginale enfant qu’ils auraient voulu suivre à l’assaut, et qui sera peut-être demain leur invisible capitaine.
Au nom de Jeanne enfin, l’Église, bloquée comme jadis Orléans, a respiré, et du haut de ses remparts, elle appelle au loin sa Libératrice.
Et la voilà la Libératrice, ange de l’espérance, couvrant de ses deux ailes les frontières du siècle qui finit et celles du siècle qui commence. Oui, son esprit redescend parmi nous et va être pour notre pays le principe d’une régénération comme n’en a vue aucun peuple : non fecit taliter omni nationi.
Voilà, Messieurs, si je ne me trompe, la signification de ces fêtes qui nous étonnent nous-mêmes, nous qui les célébrons ; voilà le secret de l’émotion intense qu’elles provoquent. La vierge de Domremy nous apparaît avec une double auréole tracée par le doigt enflammé de Dieu : deux fois libératrice de son pays. Libératrice d’hier, elle sera encore la libératrice de demain, et sa seconde mission ne sera ni moins belle, ni moins surnaturelle que la première. Au quinzième siècle, elle nous a sauvés par son épée ; demain elle nous sauvera par son esprit, par son programme, épée plus redoutable que la première, acier trempé au cœur même de Dieu. »

Abbé Victor-Augustin Vié, Panégyrique (8 Mai 1886)
« L’entendez-vous, Français ? Il y a une terre qui attire les regards des saints ; il y a une patrie qui est encore aimée dans cette seconde vie où se conserve tout ce qui était bon dans la première ; il y a une race d’hommes dont les prospérités et les malheurs émeuvent les anges de Dieu, et cette terre, cette race qui inspire de telles sympathies au ciel et fait tressaillir le paradis lui-même, c’est la nôtre.
Quand l’amour de cette patrie s’éteint, des envoyés de Dieu viennent le rallumer. Écoutez, Messieurs, comment les anges et les saintes enseignent cet amour, et comment Jeanne y forme son cœur à leur école. Ses voix lui disent d’être bonne, et Jeanne, déjà si douce, devient la charité même ; elle fait l’aumône, elle console et nourrit les malheureux, elle cède son propre lit aux malades, elle soigne les vieillards et se fait, pour ainsi dire, la première petite sœur des pauvres. Ses voix lui disent d’être pieuse, et Jeanne prie en travaillant ; elle se confesse plus souvent, elle va tous les matins à la messe, et à la vue de la sainte hostie elle ne peut retenir ses larmes. Ses voix lui disent d’être pure, et Jeanne comprend que pour aimer la France comme Dieu le veut, elle ne doit pas partager son cœur, et elle fait vœu de virginité.
Et quand elle s’est élevée ainsi dans la pureté, dans la piété, dans la charité, quand son âme s’est purifiée, élargie, attendrie, l’Archange frappe le dernier coup et met devant ses yeux «la grande pitié qui est au royaume de France.» Quelle est donc cette grande pitié ? Crécy, Poitiers, Azincourt, Verneuil ? Non, Messieurs ; ce sont là des défaites, et la France ne meurt pas de ses défaites, fussent-elles des désastres ; vaincue, elle impose le respect, elle ne fait pas pitié. Ce que l’Archange montre à Jeanne d’Arc, ce n’est pas un peuple blessé : les blessures d’un soldat sont glorieuses ; c’est un peuple tombé, et de quelle chute ? de Louis IX le saint à Charles VI l’insensé et de Blanche de Castille à Isabeau de Bavière ; c’est un peuple malade et sa maladie est honteuse. Voyez ses plaies : à sa tête, un roi fou, une femme qui est tout à la fois une mauvaise reine, une mauvaise épouse et une mauvaise mère, un Dauphin sans courage, et des princes parjures et fratricides qui s’embrassent le matin et se poignardent le soir ; dans ses mains, le couteau des sicaires a remplacé l’épée des preux, les armées sont des bandes de pillards, et le beau nom de soldat est déshonoré par des brigands. Le peuple lui-même est affolé par la misère : à Paris, il est tour à tour révolté et écrasé ; dans les campagnes, il promène le massacre et l’incendie. Dix provinces ont acclamé l’étranger ; dans les autres il y a des Armagnacs et des Bourguignons, il n’y a plus de Français : le corps entier de la nation se dissout et se décompose. La vie n’y est pas éteinte, le cœur bat toujours, puisque Orléans lutte encore, mais il est menacé ; cette fois la plaie est profonde et la France peut en mourir. Déjà ses ennemis la tournent en dérision : le voilà donc, disent-ils, le pays de l’honneur chevaleresque ! Le plus beau des royaumes après celui du ciel ! Et ils insultent à son agonie. La France peut mourir, et si elle meurt ce sera dans la honte : voilà « la grande pitié ! »
Ah ! je comprends que l’ange gardien de la Patrie s’émeuve, qu’il se montre et qu’il parle, je comprends qu’à sa voix l’enfant de Domrémy s’enflamme et se transfigure. Messieurs, le froid récit d’un historien nous remue et nous arrache des larmes, en nous racontant nos malheurs passés ; que produira dans l’âme de Jeanne d’Arc la parole vibrante d’un Archange, ou plutôt la vive et saisissante représentation de la France qui se meurt ? Ce qu’elle produira ? Un amour toujours grandissant, qui domptera toutes ses faiblesses, s’emparera de toutes ses énergies et finira par être invincible.
Va en France ! Ce cri qui lui faisait peur commence à la charmer. « Je ne sais ni chevaucher ni conduire la guerre » disait-elle, et bientôt elle chevauchera et maniera l’épée. Quitter sa mère et ses compagnes, cette seule pensée la troublait, et maintenant elle veut obéir à ses voix. Il est vrai que, par une exquise délicatesse de cœur, elle cachera son départ ; la pauvre Hauviette ne lui dira pas adieu, et elle en pleurera longtemps ; mais eût-elle « cent pères, et cent mères » Jeanne partira. Timide, irrésolue et tremblante, à la voix de Dieu, et au spectacle de la grande pitié de la France, elle est devenue ferme, intrépide et prête à l’action. Entre Jeanne et la France, maintenant, c’est à la vie, à la mort. Que voulez-vous, elle aime. La flamme intérieure est allumée, et son âme tout entière en resplendit. Son patriotisme s’est agrandi, élevé et ennobli, au point de ne faire plus qu’un en elle avec l’amour de Dieu, et je puis dire de son amour pour la France ce qu’un de ses contemporains disait de l’amour de Jésus-Christ. À chacun des cris de l’auteur de l’Imitation, la parole ardente de Jeanne répond comme un écho : l’amour est une grande chose. Rien n’est plus doux : « J’en étais merveilleusement réjouie ». Rien n’est plus fort : « Dussé-je user mes jambes jusqu’aux genoux, je partirai ». Rien ne retient l’amour : « Je ne pouvais plus durer ». Il ne recule pas devant l’impossible : « Rien n’est impossible à Dieu ». Il court, il vole : « Partons, plutôt aujourd’hui que demain, plutôt demain qu’après ». L’amour est né de Dieu : « C’est l’ordre de Messire, que je fasse lever le siège d’Orléans et sacrer le roi à Reims ».
Va donc, fille de Dieu, va ! C’est pour cela que tu es née. Prends l’épée que t’offre Baudricourt et le cheval que te donnent les bonnes gens de Vaucouleurs. Chevauche hardiment sur le chemin de Chinon : la France t’attend, les anges te suivent et Dieu te mène. Pars ; mais au moment où tu quittes pour toujours tes prairies, laisse-nous jeter un dernier et rapide regard sur la beauté de ton enfance. Ton front va s’illuminer là-bas d’un rayon plus triomphant, il n’en trouvera pas qui soit plus pur et plus doux. »

R.P. Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc (Tome II)
« Elle est le surnaturel éclatant d’une manière fulgurante au beau milieu de notre histoire. Impossible de suivre le cours de notre passé sans rencontrer et saluer cette figure sans modèle et sans copie. »

Mgr Charles-Émile Freppel, Panégyrique (8 Mai 1867)
« N’espérez pas comprendre l’héroïne, si vous n’étudiez la sainte. C’est au-dessus de la terre, par-delà les mobiles d’une activité purement humaine, que la sublime enfant a puisé son héroïsme ; et quand je cherche à travers sa prodigieuse carrière ce qui la remplit et l’explique, je trouve que la foi a été le principe et l’âme de toute sa vie.
Oui, la foi, la soumission à la volonté de Dieu, le désir de l’accomplir en toutes choses, au péril de la vie, et sans autre crainte que celle de ne pas la remplir jusqu’au bout et avec une entière fidélité, voilà le mobile des actions de Jeanne d’Arc. Par là son héroïsme dépasse la sphère de la vie civile, pour entrer dans l’ordre de la sainteté. Je le sais, telle n’est pas l’idée que plusieurs se sont faite de la pieuse jeune fille. On s’est plu quelquefois à, nous la représenter comme une sorte d’amazone entraînée sur les champs de bataille par son humeur guerrière, et s’échauffant au bruit des combats dont elle aurait entrevu la lointaine image dans les rêves d’un esprit exalté. Ce sont là des tableaux de fantaisie qui s’évanouissent devant la réalité des faits. Ni les goûts personnels de Jeanne, ni ses aspirations ne répondaient au rôle que la Providence l’avait appelée à Jouer : « Et certes, disait-elle, j’aimerais bien mieux filer auprès de ma pauvre mère, car ce n’est pas mon état ; mais il faut que j’aille et que je le fasse, parce que Messire veut que je fasse ainsi… Et plût à Dieu, mon Créateur, que je m’en retournasse, quittant les armes, et que je revinsse servir mon père et ma mère, gardant leurs troupeaux avec ma sœur et mes frères, qui seraient bien aises de me voir ! »
Ce n’est pas même au sentiment patriotique, pourtant si vif dans cette belle âme, qu’il faut demander la raison suprême de sa conduite. Ses répugnances devant la simple perspective de sa mission montrent assez qu’elle se déterminait par des motifs encore plus élevés. « Non, ajoutait-elle, avec cet accent de sincérité qui éclate dans toutes ses paroles, j’eusse mieux aimé être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans la volonté de Dieu. » Tant il est vrai que, pour trouver la clef de cette vie extraordinaire, on a besoin de la chercher dans un principe supérieur aux affections et aux intérêts terrestres. Ce principe suprême et régulateur, nous l’avons dit, est celui-là même qui anime et dirige la vie des saints : le désir de répondre à la grâce divine, quoiqu’il en coûte, dût-il en résulter le sacrifice de la vie. »

Philippe-Hector Dunand, Histoire Complète de la Bienheureuse Jeanne D’Arc (Tome I)
« La vraie religion, celle que l’Évangile a fait connaître au monde, c’est l’amour de Dieu et du prochain. La piété chrétienne a pour caractéristique non seulement de faire pratiquer ces deux amours, mais d’en inspirer comme le besoin : l’âme vraiment pieuse est altérée de ces vertus, comme les fleurs le sont de chaleur et de lumière.
Ainsi en a-t-il été de la fille de Jacques d’Arc ; ainsi nous l’ont dépeinte les témoins de l’enquête de 1456, témoins qui sont tous ses compatriotes, ses compagnons ou ses amis de jeunesse. L’amour de Dieu et du prochain, tel que le divin Maître l’a enseigné, tel que les saints l’ont pratiqué, l’amour de Dieu créateur, de Dieu rédempteur, de Dieu récompense éternelle des élus, l’amour des pauvres, des enfants, des malheureux, et au-dessus de cet amour celui de la France si malheureuse, si délaissée, voilà les sentiments qui vont remplir le cœur de Jeannette et le faire palpiter ; les sentiments qui grandiront avec elle, s’épanouiront en elle et constitueront sa véritable vie.
Disons-le à la première page de son histoire, comme nous le dirons à la dernière : ce sont ces deux amours, celui de son Dieu et celui de son pays, qui feront Jeanne si grande ; ce sont ces deux amours qui donneront pour couronnement à la plus belle des vies la plus sublime des morts, la mort du martyre dans les flammes d’un bûcher.
Demander ce que l’amour de Dieu était pour Jeanne enfant et ce qu’il sera pour Jeanne jeune fille, c’est demander ce qu’est l’air, ce qu’est la lumière, ce qu’est l’espace pour l’oiseau. La vierge de Domremy vivait de cet amour, comme l’oiseau, aigle ou mésange, vit d’espace, d’air et de lumière. « Jeanne, disait François Garivel, conseiller général du Roi, était une bergerette aimant Dieu par dessus tout. »
La jeune vierge était remplie à ce point de l’amour de son Créateur, qu’il débordait de son âme et que l’ardeur s’en communiquait aux gens avec qui elle se trouvait. « J’avais foi en elle, disait Jean de Metz, son compagnon de route de Vaucouleurs à Chinon ; j’étais enflammé par ses paroles, ainsi que par l’amour de Dieu qu’elle respirait. »
Admonestée à Rouen par l’archidiacre Jean de Châtillon, la Pucelle lui dira : « Lisez votre livre, puis je vous répondrai. Je me confie de tout à Dieu mon créateur : je l’aime de tout mon cœur » […]
On a pu voir quelle piété saine, quelle conscience droite Jeannette apportait à l’accomplissement de tous ses devoirs. Mais un autre sentiment que l’amour de sa tâche quotidienne faisait battre son cœur, l’amour de la France et de son roi. En même temps que la chrétienne et la fillette laborieuse, ardente au travail, se formait la patriote et la Française si digne d’être admirée.
En ce quinzième siècle, la foi patriotique dont les vrais Français portaient en eux la flamme était non seulement étroitement liée à leur foi religieuse, mais elle procédait d’elle comme l’effet procède de la cause. L’idée chrétienne avait créé un culte véritable pour la patrie personnifiée dans le roi, comme elle avait créé le culte de Dieu, de l’Église et des saints. Le trône avait pour sauvegarde l’autel, mais il était placé au-dessous.[…]
Pour Jeanne d’Arc, le royaume de France, c’est « le saint royaume ». Ainsi le qualifiera-t-elle dans sa lettre aux habitants de Troyes ; le royaume même de « Jésus, Roi du Ciel et de toute la Terre ». Ainsi s’exprimera-t-elle dans sa lettre au duc de Bourgogne, à l’occasion du sacre ; le royaume « de Dieu, le fils de Sainte Marie », comme le portera sa lettre aux Anglais. […]
Des trois choses que la Vierge de Domremy demandera à ses Saintes, deux regardent ce cher pays de France et son souverain ; la troisième seulement la regarde elle-même. « J’ai demandé à mes Voix trois choses, dit-elle : la première, le succès de mon expédition (la levée du siège d’Orléans et le sacre de Reims) ; la deuxième, que Dieu aide bien aux Français et garde bien les villes de leur obéissance ; la troisième, le salut de mon âme. » »

Abbé A. Mouchard, Panégyrique (8 mai 1890)
« Dieu a fait des âmes guerrières et des âmes saintes ; souvent il a mêlé la vaillance et la piété dans le cœur des braves ; mais ce qu’il n’a réalisé qu’une fois à ce degré, c’est l’alliance harmonieuse et l’équilibre parfait de tous ces dons qui semblent d’abord s’exclure. Je ne vois qu’en Jeanne d’Arc ces contrastes qui font resplendir sa figure d’une beauté sans pareille : pureté de la vierge et élan du soldat, recueillement des cloîtres et joyeux entrain des camps, naïve simplicité d’une paysanne et noble fierté d’un chevalier, la modestie jointe à l’audace et la candeur au génie, la grâce tempérant la force, la gloire couronnant l’innocence, un ange dans un héros, aucun rayon ne manque au front de notre libératrice. »

R.P. Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, Jeanne d’Arc sur les autels et la régénération de la France
« Jeanne d’Arc est un défi jeté au naturalisme des âges postérieurs. Le naturalisme le sent, et voilà pourquoi il s’acharne autour de la céleste figure : efforts inutiles ; ils se tournent contre ceux qui les tentent ; le surnaturel ressort plus éclatant par les patentes contradictions dans lesquelles tombent ceux qui essaient de le nier. Jeanne d’Arc est le surnaturel catholique manifesté par les faits, presque dans sa plénitude. Les catholiques romains sont les seuls qui n’aient rien à dissimuler dans la divine héroïne. »

Abbé Albert Le Nordez, Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc
« J’adresse à Dieu ma requête de cette manière : « Très doulx Dieu, en l’honneur de vostre Sainte Passions, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me revéliez ce que je dois répondre… Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. »
Ainsi priait Jeanne ; nulle invocation n’est plus touchante. On y retrouve cette intimité que la vivacité de sa foi et la tendresse de son cœur lui avaient donnée avec Notre Seigneur et la cour céleste : « Très doulx Dieu ! »
Le mystère de la Passion excita toujours au plus haut degré la dévotion de Jeanne. Aussi s’en fait-elle un titre près du Sauveur en le priant : « En l’honneur de vostre sainte Passion. »
« Je vous requiers, si vous m’aimez. » Je ne sais rien de plus touchant que cette sorte d’argument qui se fait de l’amour même dont on est l’objet une force pour obtenir ce que l’on désire. C’est le langage de l’enfant à sa mère, celui de l’ami près de ceux dont il est aimé.
La conclusion n’est ni moins touchante, ni moins naïve : « Pour ce, plaise à vous me l’enseigner. » Je crois qu’une mère serait bien inspirée d’apprendre à ses jeunes enfants, pour qu’ils la disent chaque jour, cette prière de Jeanne d’Arc. »

R.P. Stéphen Coubé, Jeanne d’Arc et la France
« Et voilà encore un beau caractère de ce patriotisme : c’est son action posthume sur nos destinées. La France de tous les siècles lui doit beaucoup. Elle lui doit son indépendance et jusqu’à un certain point sa foi religieuse. L’Anglais, vainqueur au XVe siècle, nous eût inoculé au XVIe le virus protestant. C’est donc à Jeanne que nous devons d’être encore Catholiques et Français. Cette idée que la France doit à Jeanne d’Arc de n’avoir pas été protestantisée par les Anglais au XVIIe siècle a frappé des écrivains hostiles au Catholicisme. Le franc-maçon Louis Martin, dans sa brochure « l’Erreur de Jeanne d’Arc », considère comme un malheur que la Pucelle ait empêché la fusion de la France avec l’Angleterre, fusion qui eût amené au siècle suivant le triomphe du protestantisme sur le Catholicisme. Le juif Naquet ne peut non plus lui pardonner ce méfait. « En donnant la victoire aux Valois contre les Plantagenet, Jeanne dit-il, a sauvé sans le savoir le Catholicisme. Sans la victoire des Valois, le Catholicisme aurait été déraciné. » Ainsi, d’après Naquet, Louis Martin et plusieurs autres, c’est à Jeanne que le Catholicisme doit d’exister encore. Je ne crois pas que l’on puisse rien dire de plus glorieux pour elle. Ce n’est pas la première fois que l’ânesse de Balaam rend hommage à la vérité. »

Kotska De Borgia, Jeanne d’Arc et la Franc-Maçonnerie
« La Franc-Maçonnerie ne peut aimer Jeanne d’Arc, parce que la mission de Jeanne d’Arc et l’œuvre sublime qu’elle a accomplie, sont la démonstration par le fait, de ce surnaturel catholique, contre lequel la Maçonnerie du Grand-Orient a dressé toutes ses batteries. J’ai entendu un jour tomber de la bouche d’un franc-maçon intelligent et lettré -ce qui est rare – cette parole bien significative : « Jeanne d’Arc ? elle nous embête. » Le mot est vulgaire, mais expressif. Jeanne d’Arc les embête. Cela se conçoit. Elle a aimé et défendu tout ce qu’ils combattent et tout ce qu’ils détestent. Elle est morte pour une foi qu’ils haïssent. Elle a été au service d’un Dieu qu’ils nient et d’une patrie chrétienne qu’ils exècrent, car ils n’aiment la Patrie que révolutionnaire et athée.[…]
Et le secret de la haine franc-maçonne, c’est qu’elle se rend bien compte que la mémoire de Jeanne est inséparable de la sainte Église. Elle hait Jeanne, parce qu’elle hait l’Église. »

Mgr Stanislas-Xavier Touchet, La Sainte de la Patrie (Tome 1, Introduction)
« À quoi bon une nouvelle vie de Jeanne ? Il en existe un grand nombre, bonnes, mauvaises, médiocres soit en elles-mêmes, soit relativement au point de vue vers lequel chaque lecteur se tourne.
Mais celle que je me proposais ne pourrait-elle pas avoir un caractère particulier, déterminé par la nature même de mes longues études antécédentes ? Si oui, lequel serait-ce ?
En 1896, j’eus l’honneur d’interroger comme témoin au procès canonique que j’instruisais M. Godefroy Kurth, le célèbre professeur d’histoire médiévale à l’Université de Gand. Il déposa comme il le pouvait faire, avec toute la gravité et toute la plénitude de sa compétence. Quand il eut fini, je pris la liberté de lui poser, au nom du tribunal dont j’avais l’honneur d’être le président, une question qui n’était pas au programme.
– Monsieur, lui dis-je, que pensez-vous de notre tentative de faire béatifier Jeanne d’Arc ?
Godefroy Kurth se leva, redressa sa grande taille, tendit la main droite du côté du livre des évangiles posé sur notre table et dit :
– Je n’ai plus à prêter serment de ne pas m’écarter de la vérité telle qu’elle m’est connue. C’est fait. Continuant donc de parler sous la foi jurée, je réponds ceci : Je ne connais pas l’histoire : personne ne la connaît. Cependant il y a quarante années que je l’étudie ; eh bien, j’affirme n’avoir vu sur ce théâtre illustre que j’ai tant fréquenté, personne, depuis le Christ et la Vierge Marie, qui soit plus digne de l’honneur des autels que votre Jeanne d’Arc.
Et voilà bien le côté supérieur de l’histoire de Jeanne ; elle accomplit des prodiges de vaillance, des prodiges de service ; mais, nous ne craignons pas de le dire, elle les accomplit parce qu’elle fut un prodige de Sainteté. C’est cela qu’il s’agira de montrer.
Puis-je encore raconter ceci à « l’Ami Lecteur » ? Du procès où déposa Kurth c’est moi-même qui remis à Léon XIII la copie authentique. L’illustre Pontife avait toujours été épris de la cause. Son action discrète et puissante l’a tirée de plus d’une passe périlleuse. Il aimait Jeanne en poète et en grand homme d’Église : le poète avait senti cette idéale beauté ; le grand homme d’Église avait saisi combien il était important d’inscrire un pareil personnage à nos Fastes sacrés, si Dieu le permettait ainsi. Lorsqu’il vit le dossier énorme, de plusieurs milliers de pages, constitué en cent trente-cinq séances de neuf ou dix heures de matinée et de relevée chacune :
– Comment, Monseigneur, me dit-il, c’est vous qui avez présidé tout le temps ?
– Mais oui, Saint-Père.
– C’est beaucoup ; avec votre ministère épiscopal, c’est trop.
– Saint-Père, s’il y avait à se fatiguer, autant valait-il que ce fût à moi qu’à un autre. Puis, j’avais une seconde raison.
– Laquelle ?
À parler franchement, j’avais besoin d’être convaincu le premier. Quand j’ai ouvert les procédures, je savais comme tout le monde que Jeanne avait été le plus beau des chevaliers, mais en était-elle la plus sainte ? Je n’en avais pas l’idée.
– Et maintenant ?
– Ah ! Maintenant, Saint-Père, c’est fait ; je sais. Je sais qu’elle fut une héroïne de courage, et une héroïne de vertus. Que de fois les Juges et moi, tandis que nous recueillions les dépositions, nous nous sommes regardés disant : se peut-il que Dieu ait créé une âme pareille ? Aussi quand Votre Sainteté aura béatifié Jeanne, dès le lendemain, avec sa permission, je poursuivrai la canonisation.
– Bien, fit laconiquement le vieux Pape.
Ce monosyllabe de l’un des plus vastes esprits que j’aie rencontrés, m’a dicté ma route toujours et m’a encouragé souvent, depuis un quart de siècle ; nul que Dieu ne sait combien il a influé sur la direction de ma vie.
En tout cas, je prie qu’on observe le fait que je signale.
Avant le procès j’avais lu plusieurs vies de Jeanne et je n’avais pas une idée distincte de sa sainteté. L’âme de la vierge pétrie de force, de prudence, de justice, de tempérance, de chasteté, d’humilité, de foi, d’espoir vaillant, d’amour de Dieu, de dilection du prochain, cette âme que Godefroy Kurth magnifiait du mot quasi étrange : depuis le Christ et la Vierge Marie, je n’en sais aucune qui soit plus belle ; cette âme m’avait presque échappé.
La cause ? Probablement parce qu’elle ne m’avait pas été tout à fait assez montrée.
C’est sûrement ce que voudraient voir à leur tour plusieurs de ceux qui m’ont encouragé à écrire une histoire de Jeanne. Puissé-je ne pas tromper leur désir et leur attente : ainsi serai-je justifié d’avoir repris un chemin où certains m’ont précédé, non sans éclat. »

Abbé A. Mouchard, Panégyrique (8 mai 1890)
« Non, non, Cauchon et ses complices ne sont pas plus l’Église qu’ils ne sont la patrie ; ils trahissent l’une et l’autre, et, dans cette parodie de la justice et de la religion, ils souillent à la fois tous les sacerdoces.
Paraissez donc, ô Jeanne ! et vengez par vos protestations immortelles le droit et l’humanité, la France, l’Église et Dieu!
À ses premières réponses et au silence que parfois elle garde, reconnaissez, Messieurs, la fille au grand cœur. On lui défend de chercher à s’évader. « C’est le droit de tout prisonnier, dit-elle. Je n’ai que faire ici ; laissez-moi à Dieu de qui je suis venue. – Partiriez-vous présentement ? – En vérité, si je voyais la porte ouverte, ce me serait le congé de Notre-Seigneur, et je m’en irais. » On l’adjure de répondre à toutes les questions qui lui seront posées : « Je ne sais de quoi vous voulez m’interroger ; peut-être me demanderez-vous des choses que je ne vous dirai pas. – Sur vos visions, sans doute ? – Oui, vous me couperiez plutôt la tête. »  Et quoi qu’ils fassent, ils ne sauront pas le secret qu’elle a révélé à Charles VII : « Allez le lui demander » et le cœur de Jeanne reste muet comme la tombe. Que voudraient-ils encore ? Un regret, un soupir qui pût accuser d’ingratitude le prince ou la patrie ? Ils ne l’auront pas. Une plainte contre Dieu qui a permis sa captivité ? « Puisqu’il lui a plu ainsi, c’est le mieux que je sois prise. » Un murmure contre ses saintes qui lui parlent d’une délivrance toujours retardée ? « Je vous en répondrai plus tard : passez outre. » Et à sa voix qui a retrouvé l’accent du commandement comme aux grands jours de bataille, les juges sont forcés de se rabattre sur une autre question.
Sublime quand elle se tait, Jeanne l’est plus encore quand elle parle. Écoutons-la, Messieurs : jamais innocence ne fut plus éloquente. « Pourquoi Dieu vous aurait-il choisie plutôt qu’une autre ? – Il est le Tout-Puissant et il se glorifie, quand il lui plaît, dans une pauvre fille. – Vous nous donnez comme divine la mission de verser le sang humain ? – Je requérais d’abord qu’on fit la paix ; je déclarais ensuite que j’étais prête à combattre. – N’avez-vous pas dit que les panonceaux faits à la ressemblance du vôtre seraient heureux ? – Je disais à mes gens : « Entrez hardiment parmi les Anglais, et j’y entrais moi-même. » – Était-ce bien à une jeune fille de chevaucher parmi les morts ? – Quand je voyais le sang couler, je sentais mes cheveux se dresser sur ma tête. – Vous faisiez croire à ceux qui suivaient votre étendard qu’ils seraient victorieux ! – Je disais ce qui est advenu et adviendra encore. – Qui aidait le plus au succès, vous ou votre bannière ? – C’était tout Notre-Seigneur. – Mais, au sacre, elle fut portée avant celles des capitaines ! – Elle avait été à la peine ; c’était raison qu’elle fût à l’honneur. »
Ici, Messieurs, les juges eux-mêmes applaudissent et nos ennemis s’écrient : « Quelle brave femme ! que n’est-elle Anglaise ! » Mais elle est Française, d’esprit comme de cœur, et, dans ces terribles épreuves, nous la retrouvons vive à la réplique et intrépide à la défense de son pays. On lui tend des pièges : d’un mot elle les brise. « Êtes-vous en état de grâce ? – Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y garder. – Saint-Michel avait-il des cheveux ? – Pourquoi les eût-il coupés ? – Vos saintes parlent-elles la langue des Anglais ? – Comment le feraient-elles, puisqu’elles ne sont pas de leur parti ? – Dieu hait-il les Anglais ? » Ô juges ! Prenez garde ; vous tentez le patriotisme de Jeanne ; il va éclater : « Je ne sais si Dieu les hait ou s’il les aime, mais ce que je sais bien, c’est qu’ils seront chassés de France. – Comment le savez-vous ? – Par révélation, et je serais bien marrie que la chose tardât longtemps. Oui, avant sept ans, ils laisseront un plus grand gage qu’Orléans et ils finiront par perdre tout le royaume. »
À ce cri prophétique, Messieurs, les Anglais palissent de colère, mais Jeanne s’est habituée à les braver, et, dans les fers, elle ne craint pas plus leurs épées, qu’elle ne tremblait en face de leurs bastilles. L’image de la patrie victorieuse a repassé sous ses regards, et, quand il s’agit de la liberté de la France, l’accusée ne sait plus se taire. Elle l’annonce et la défend comme les Cécile et les Agnès prêchaient aux proconsuls romains le triomphe de Jésus-Christ et l’immortalité de la cause pour laquelle elles allaient mourir. »

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Cardinal Pie – Éloge de Jeanne d’Arc (1MO)

Mgr Henri Debout – Les meilleures lectures spirituelles sur sainte Jeanne d’Arc (5MO)

Pape Pie XI – Galliam, Ecclesiæ filiam primogenitam (1MO)

R.P. Jean-Baptiste-Joseph Ayroles – Jeanne d’Arc sur les autels et la régénération de la France (1MO)

Pape saint Pie X – Virginis in omne ævum nobilis (1MO)

Bibliographie

– Abbé Albert Le Nordez, Les Septante Paroles de Jeanne d’Arc (Lien)
– Raphaël Delarbre, Jeanne d’Arc par elle-même
– Père Vincent-Désiré Artaud, Les amies de Jeanne d’Arc
– Abbé Jacques Olivier, Le prophétisme politique et ecclésial de Jeanne d’Arc
– Abbé Stéphen Coubé, L’âme de Jeanne
– R.P. Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, L’épopée johannique
– Robert Brasillach, Le procès de Jeanne d’Arc
– Pierre Virion, Jeanne en son temps – Jeanne en notre temps
– Régine Pernoud, Petite vie de Jeanne d’Arc / Réhabilitation de Jeanne d’Arc

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