Hégélianisme

Père Roger-Thomas Calmel, Théologie de l’histoire (Pages 59-61)
« Nous respirons un air infesté d’hégélianisme. Nombre de clercs dans des articles savants ou de modestes conférences semblent vouloir nous embrouiller dans un hégélianisme diffus. S’ils n’affirment pas carrément, comme Hegel, que Dieu est immergé dans l’histoire et s’achève avec l’histoire, du moins parlent-ils comme s’ils le pensaient. S’ils n’osent affirmer grossièrement que l’Église est dans une dépendance intrinsèque à l’égard des grands « courants historiques », doit s’aligner sur ceux-ci et se modifier à leur gré, du moins c’est bien cela qu’ils laissent entendre. Ils confèrent à l’histoire un rôle messianique et mélangent le Royaume de Dieu avec l’histoire ainsi comprise. […]
Ascension de l’humanité vers la lumière, lente parturition d’une humanité libre grâce à l’effort de l’histoire, identification de l’humanité engendrée de la sorte avec le Royaume de Dieu envisagé sous un certain angle, qu’y a-t-il de chrétien en tout cela ? Le Royaume de Dieu surnaturel, transcendant, a été rabattu sur les plans des royaumes terrestres, et même des royaumes terrestres supposés en état de perfectionnement indéfini.
Le cours des siècles, ou « l’effort de l’Histoire » comme on nous dit, n’est pas chargé d’enfanter lentement une humanité libre qui se confondrait avec le Royaume de Dieu, d’abord parce que le Royaume de Dieu sera toujours distant à l’infini de la cité terrestre même honnête, juste et libre ; ensuite parce que la cité terrestre, même juste, sera toujours abondamment pourvue d’iniquités. Le cours des siècles n’y peut rien. « L’effort de l’Histoire » ne peut pas faire naître des hommes exempts du péché originel et des trois convoitises. Et sans doute il est tout à fait vrai que la cité terrestre a pour but de faire régner la justice au lieu des injustices, d’établir un ordre où soient respectées la dignité des personnes, les libertés et franchises des corps intermédiaires. Mais c’est la cité politique qui obtient cette fin grâce à la valeur des personnes et à l’honnêteté des institutions, ce n’est pas l’histoire en elle-même, comme si l’histoire en elle-même était une personne qui fasse effort vers le bien et la justice. »

Jean Daujat, La face interne de l’histoire (Pages 292-293)
« […] Si Fichte a nié toute réalité extérieure à la pensée et indépendante d’elle, il admettait encore une réalité, celle du moi pensant auteur de sa propre pensée, et ceci était encore de trop pour l’idéalisme : Hegel parvient à l’idéalisme absolu en niant absolument toute réalité, non seulement d’un objet connu, mais même d’un sujet connaissant, pour n’admettre rien d’autre que la pensée elle-même dont l’évolution intérieure selon ses propres lois engendre en elle toute la succession des consciences individuelles et par là de tous les événements de l’histoire, ce qui constitue évidemment un panthéisme intégral avec cette différence que pour Spinoza c’était Dieu qui en évoluant devenait l’univers tandis que pour Hegel c’est l’univers, c’est-à-dire la pensée, qui en évoluant devient Dieu. Avec cette philosophie on passe du libéralisme et de l’individualisme de l’époque de Kant et de la Révolution française au collectivisme et au totalitarisme puisque pour Hegel la conscience individuelle n’est qu’une phase du développement historique collectif de la pensée. C’est pourquoi c’est de la philosophie de Hegel que sortiront, comme nous le verrons, tous les grands totalitarismes du monde moderne, le fascisme, l’hitlérisme, le marxisme. Cette philosophie est aussi un essentialisme absolu : pour elle il n’y a plus de faits d’existence, il n’y a qu’un monde d’essences intelligibles liées les unes aux autres dans le fonctionnement de la pensée et les évènements de l’histoire eux-mêmes se déduisent des lois de la pensée de sorte que c’est aussi un rationalisme absolu pour lequel tout s’enchaîne rationnellement.
La philosophie de Hegel se trouve évidemment en opposition avec la toute première affirmation de l’intelligence humaine, celle que toutes les autres supposent, que les philosophes appellent « le principe d’identité » et que l’on pourrait appeler « le principe de M. de La Palisse », c’est-à-dire l’affirmation que « toute chose est ce qu’elle est » car alors la pensée ne peut pas être toutes les consciences individuelles et tous les événements de l’histoire dans toute leur diversité. Mais, ayant nié tout être et toute réalité, Hegel nie la loi fondamentale de l’être et du réel qui est l’identité avec lui-même pour soutenir que tout est contradictoire et que la pensée ne se développe qu’en se contredisant incessamment elle-même. Ceci conduit Hegel à un évolutionnisme absolu où l’on retrouve dans une perspective idéaliste celui d’Héraclite : rien n’existe parce que rien ne subsiste, rien ne dure, rien ne demeure, parce que tout est perpétuellement nié, détruit, contredit, chaque instant détruisant l’instant précédent dans une évolution perpétuelle. C’est ainsi une philosophie essentiellement révolutionnaire qui sera la source de tous les grands mouvements révolutionnaires du monde moderne. Il ne faudra pas s’étonner que ceux qui sont formés à l’école de cette philosophie disent et fassent chaque jour le contraire de ce qu’ils ont dit et fait la veille ; c’est une philosophie pour laquelle une fois pour toutes oui et non, affirmer et nier n’ont plus de sens, mais oui se change en non, affirmer se change en nier dans le mouvement de contradiction perpétuelle qui fait l’histoire. Une pensée, une attitude n’est plus vraie ou fausse, elle est périmée ou novatrice. La loi de contradiction perpétuelle inhérente au développement de la pensée constitue ce que Hegel nomme la dialectique : la pensée ne se pose dans la thèse que pour se contredire dans l’antithèse et de cette opposition jaillit la synthèse nouveau moment d’une histoire qui est révolution perpétuelle parce que destruction perpétuelle. C’est là ce que Hegel appelle « un moment dialectique ». »

Maxence Caron, Être et identité (Page 343)
« Hegel affirme qu’un universel séparé du particulier n’est pas l’universel. Apparemment rien de plus juste. Mais il omet de prendre en considération qu’un universel dépendant du particulier ne peut ête promu au rang de l’universel ; un tel « universel » n’est finalement pas non plus l’universel. La dignité revendiquée par Hegel pour l’universel est remise en cause par l’argument même destiné à asseoir cette universalité. Le concept d’universalité a une autre exigence à laquelle Hegel reste sourd, exigence soulignée par saint Augustin qui affirme qu’on ne peut en toute rigueur outrepasser la vérité selon laquelle « Dieu n’est pas béatifié par ses propres créatures » (De Genesi ad litteram, IV, XVI, 28), ni donc par le contenu censé ici conférer à revers sa plénitude au Principe. »

Bibliographie

– Glenn Alexander Magee, Hegel and the Hermetic Tradition

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer